mercredi 7 août 2013

NUIT AUX NANTILLONS

C'était soit le bistrot, soit le projet d'une nuit "à la belle" juste sous le glacier des Nantillons. Un peu moins de 3000m d'altitude dans le massif du Mont-Blanc, et une vue imprenable sur les aiguilles de Chamonix. La face NE de Blaitière, le Grépon, l'M ou les Charmoz...  On a les nuits qu'on peut !




Bon d'accord, c'est beau ! Mais c'est quand même dingue de consentir autant d'efforts, juste pour avoir le plaisir de se flinguer le dos sur un simple et rudimentaire tas de cailloux ! Une "trimée" infernale dans la seule perspective de ressentir enfin l'horrible souffrance s’atténuer une fois l'ultime but atteint. Celui d'une nuit entière à attendre les premières lueurs du jour comme on guette fébrilement les premiers signes de terre après des semaines en mer... Un bon millier de mètres de dénivellation chaotique au dessus "des immondes précipices" comme on disait au XIXe siècle. Un voyage à pied, chargés comme des mules, dans des déclivités redoutables au dessus des glacières du Montenvers ou dans les pierrailles surchauffées de Blaitière, juste, pour un bivouac sous le ciel traversé de pinacles et de hauteurs prodigieuses du Haut Faucigny. 



Une besogne de forçat pour une seule nuit un peu au dessus de ce bas monde et d'une grande mer polluée qui le borde ! Voilà bien un objectif "balnéaire" idiot, si loin des plages et des zones touristiques conventionnelles, si éloigné des galeries marchandes de toutes sortes. Une marche de bête de somme en plein cagnard, avant que ne s'effondre la journée sous les projecteurs de la grande fournaise cosmique.  La bonne lumière pour lancer le film d'une nuit dans un décor de pierres rugueuses et de neiges écorchées au milieu de l'immense capharnaüm tellurique. Le grand marché aux étoiles pour récupérer d'une année entière de consommation à outrance et d'actualité synthétique. Notre mon Sinaï, notre Olympe... notre Tai-Shan ou notre mythique Meru projeté sur le grand écran naturel, au lieu des consternants affichages aux cristaux liquides pour nous entretenir en temps réel de nos obligations de brillances essentielles dans la sciure convenue et les rognures déférentes des nouvelles arènes médiatiques. Le point de vue privilégié sur quelques sommets respectables. Ce Nébo ou ce Golgotha... Un de ces "Mont Analogue" aurait dit René Daumal dans son récit inachevé. Le poète qui était aussi alpiniste... Le décor d'une fabuleuse expédition de la pensée au pays des "hommes-creux" et de la "Rose-amère", au lieu d'un paysage de caravanes piétinantes sur les plages méditerranéennes. Cette sorte d'affreuse scène marine où la plus basse classe de nos semblables empile des souvenirs de supermarché dans le trafic continu. L'étrange cérémonie touristique des hommes-bêtes devant leur fourrage estival commun. Le sainfoin de l'humanité en vacances. La coutume d'un étalage grossier du monde apocalyptique, priant les membres grands ouverts sous le soleil exactement. Mes frères de sang,  étendus de tout leur long sur le sable bondé et trempés dans la sainte huile cosmétique pour ressembler à leurs Dieux de pacotille quelques jours encore après la rentrée. L'ordre hérétique et surabondant d'un monastère trivial condamné au tourment éternel. Un traquenard "religieux" pour pauvres diables persuadés du monde libre et naturel qu'ils habitent dans la plus parfaite des symbioses. Mais il faut bien habiter comme dormir quelque part, n'est-il pas ?!...
JL Gantner


"Ardent et fort comme le soleil du matin qui surgit des sombres montagnes" dit Nietzsche à propos de son Zarathoustra (livre 4) sortant de la caverne et définitivement transfiguré.



PHOTOS © JL GANTNER & P DUHAMEL 2013